Il neigeait le jour où je suis né. De la neige partout. Du blanc, du blanc, du blanc,... Sur les voitures, sur les toits des immeubles. Du blanc, du blanc, du blanc,... C'était beau, Londres en hiver et ce jour, ou cette nuit, je ne me. Je le sais, je l'ai vu de mes propres yeux. J'ai rien regardé d'autre d'ailleurs. Je me serai arraché de la fenêtre de l’hôpital, à travers laquelle je regardais les flocons volaient, ma vie aurait été différente. J'aurai su qui elle était, j'aurais su qui j'étais. Mais j'étais petit, les questions existentielles ne m'intéressaient pas à l'époque et je préférais m'imaginer le goût des flocons fondant sur ma langue. Puis je ne comprenais pas, pas encore. Je n'ai plus jamais refait ce rêve. C'est le jeu. On ne peut voir qu'une seule fois les choses après, elles disparaissent en fumée, comme les souvenirs.

Un "O" et un "Z". Deux lettres sur le bracelet d'un bébé abandonné. Deux initiales sans rien derrière. L'histoire commence comme un mauvais conte de fée. Mère partie pendant la nuit, nouveau-né laissé dans son berceau. Seul. Ce n'était plus très courant à l'époque. Tant mieux, au moins on n'était pas très nombreux à user les lits de l'orphelinat. Les dames qui se sont occupées de moi, et des autres aussi, n'avaient pas d'inspiration le jour où l'on m'a amené. Elles ont pris les lettres de mon bracelet et, sans chercher de signification, m'en ont fait mon prénom. Oz, comme le pays du magicien. Depuis le début, j'étais prédestiné.

Mes premières années furent brumeuses, incompréhensibles. Très tôt, je me mis à voir. Ça arrivait par hasard, en touchant certains objets, en dormant le plus souvent. Des fragments de passé, de futur, de présent, d'ailleurs, des visages brouillés, des éclairs qui fusaient, des éclats de voix venant de nulle part, criant des mots inconnus. Petit, je ne faisais pas la différence entre mes rêves et la réalité. Je vivais dans ma bulle, j'y suis toujours un peu enfermé. On comprit rapidement que je n'étais pas normal. Mais était-ce si grave que ça? Des fenêtres mystérieusement ouvertes, des objets qui lévitaient de temps en temps, un gamin mutique au milieu. Ils avaient déjà eu droit à des gamins sorciers car mes dons ne les étonnaient pas plus que ça. Ce qui les inquiétait, c'était que je ne décrochais pas la mâchoire sauf pour rire et pour manger. Aucun mot de prononcé avant mes quatre ans. Ils pensaient que je ne parlerai jamais. En vérité, je n'avais juste rien à dire alors je me taisais. J'étais heureux: pas trop mal nourri, au chaud l'hivers, tout plein de compagnons de jeu et surtout, son sourire qui ne me quittait pas. Instinctivement, j'ai toujours cru que c'était celui de ma mère, entraperçu dans une vision quelconque. Aujourd'hui encore, si je ferme les yeux, je le vois. Des dents blanches, un air heureux, une pointe de tendresse et elle murmurerait mon prénom.

J'avais six-sept ans quand je me suis fait adopté. Je l'avais su la nuit juste avant, je l'avais vu. J'étais déjà prêt quand le couple passa la porte. Ma valise était bouclée, j'emportais avec moi tout un tas de souvenirs. On nous avait mis en rang, et, un peu intimidé, je m'étais avancé de quelques pas et j'avais tendu une main hésitante. "Bonjour madame O'Connor, enchanté." Regards estomaqués, grand silence, murmures à la volée. Au centre de toutes les attentions, je rougissais. J'avais oublié un détail, elle ne s'était pas encore présentée.

Cependant, certains rêves ne mentent pas, celui-là en faisait bien parti. Les O'Connor m’embarquèrent direction l'Irlande. Je n'avais encore jamais quitté Londres, citadin jusqu'aux ongles et je retrouvais avec une maison dans un pré, trois vaches pour seules voisines. Pas particulièrement riches, pas dans le besoin non plus, les O'Connor ne pouvaient pas avoir d'enfant et j'étais trop vieux pour bien vouloir être véritablement le leur. Ils me servirent d'oncle et de tante en quelque sorte, tandis que je cherchais mes véritables géniteurs en disséquant mes rêves. Sommeils agités, journées pluvieuses, tout s’enchaînait exactement à l'identique. L'école n'était pas faite pour moi, je ne tenais pas en place. Je me sentais en décalé parmi les enfants qui ne comprenaient pas toujours ce qui se passait, qui ne voulaient pas comprendre. Moi, je cherchais. C'est en Irlande que je commençais la quête la plus banale de la création. D'où viens-je? Qui suis-je véritablement? Et surtout, pourquoi suis-je différent? Je ne trouvais aucune réponse et les O'Connor ne pouvaient pas m'aider. Ils n'en savaient pas plus que moi à mon sujet, il n'y avait rien dans mon dossier. "Enfant âgé de quelques heures, laissé au London Bridge Hospital, mère partie sans laisser aucun renseignement, O.Z. inscrit sur le bracelet de maternité." Elle ne m'avait rien laissé, même pas un prénom complet et pourtant, je l'aimais.

Onze ans, jour de ma véritable naissance en somme. Une chouette, une enveloppe aux couleurs passées et au sceau étrange qui fut aussitôt déchiquetée. "Cher Mister O'Connor, vous êtes un sorcier !" Hurlement de joie, quelques objets qui se brisent sur mon passage. J'étais un sorcier, j'étais un sorcier, j'étais un sorcier ! Un monde nouveau s'ouvrait à moi et je m'y jetais sans l'ombre d'une hésitation. J'étais de retour à Londres le lendemain, mes parents adoptifs essayant tant bien mal de me suivre à travers la foule. Je courrais jusqu'au bar indiqué et lorsque le passage vers le Chemin de Traverse s'ouvrit, mon cœur s'envola. Mes rêves me parurent beaucoup plus limpides vu sous l'éclairage de la magie. Je commençais à comprendre ce que j'avais vu auparavant. Les éclairs, les mots latins, ça venait de là! Mes fournitures furent vites achetées, d'occasion mais ça m'allait, et je restais des heures à contempler ma baguette. J'étais un sorcier. Les O'Connor le prirent bien, extraordinairement bien même. Ils m'accompagnèrent au quai 9 3/4 les larmes aux yeux, me firent jurer de leur envoyer des hiboux régulièrement, ce que je fais encore, tous les samedis à minuit, et de prendre bien soin de moi. Quand le train partit en direction de ma nouvelle école, je me sentis enfin libre.

De mon arrivée à Poudlard, je me souvenais surtout de la traversée du lac. Je prenais pas trop de place dans la barque, je m'étais tout devant. J'avais fixé les lumières du château sans ciller pendant tout le trajet, à deux doigts de sauter dans l'eau pour y accéder plus vite. Dans les derniers à passer durant la répartition, j'attendais mon tour impatiemment pour pouvoir aller manger. Je me fichais pas mal de la maison dans laquelle j'atterrirais. Déjà parce que je ne les connaissais pas, ensuite parce que je trouvais les blasons moches et, surtout, parce que l'on ne faisait pas le difficile lorsque qu'on avait grandi à l'orphelinat.

Mes premières années furent celles des découvertes. J'adorais la magie et plus j'apprenais à la contrôler, plus mes rêves s'espaçaient. Je les comprenais mieux qu'avant, j'arrivais à discerner l'époque, je reconnaissais des visages parfois, mais ils restaient toujours aussi indéchiffrables alors je n'en parlais pas. Leur disparition partielle m'arrangeait, ça me donnait souvent mal à la tête et ce que je voyais me plaisait de moins en moins. Je passais mon temps à la bibliothèque en première année, section "Généalogie des Sorciers". Je m'inventais des histoires, des familles dont les exploits avaient bouleversé toute la société. O comme Orion, Z, pas de nom de constellation. Je ne serais donc pas un Black, tant pis, famille suivante. O comme Oscar, Z comme Zabini. Ma mère finirait par avoir des remords, son troisième fils, écarté à cause de l'héritage à partager, lui manquerait. Je serais reconnu, enfin à ma place, riche, populaire, puissant,... C'était beau de rêver. Je pouvais tout aussi bien être un fils de moldus, d'une fille-mère, d'une prostituée galeuse. Je n'aimais pas trop y penser.

Je me fis quelques amis, les cours me plaisaient à peu même s'il fallait toujours rester une heure sans bouger. J'avais du mal au début. J'étais un peu en décalage avec les autres élèves, on ne voyait pas les choses sous le même angle. Ils pensaient que tout était immuable, je savais que tout bougeait, en permanence, que seul le passé était figé. J'apprivoisais le château, sa ribambelle de couloirs, ses passages secrets, ses pièces abandonnées. Je m’entraînais à la magie, j'essayais de rattraper mon retard sur les autres. Je n'étais pas un bon élève, loin de là. Je me battais juste pour ne pas être le dernier. En troisième année, sans grande surprise, je pris divination en option. Personne n'arriva jamais à me surpasser. Beaucoup jugeait la matière inutile mais moi, elle me passionnait. Cet engouement ne passa pas inaperçu et, bientôt, on me demanda de lire dans telle ou telle main, dans des fonds de tasse, on m'offrit un jeu de tarot, des cartes et les demandes affluèrent. Je racontais des conneries le plus souvent, je ne voyais pas à la demande mais je mentais bien et les gens étaient contents. Je me faisais quelques noises au passage. Ma quête identitaire piétinée mais je me sentais bien parmi les sorciers. A ma place.

Le décès de Dumbledore, je savais qu'il arriverait. Pas besoin d'être devin, les vieux hommes finissent toujours par capoter. L'assassinat, je ne l'avais pas prévu et ça faisait bizarre. Le plus grand sorcier de tous les temps, disparu. Alors que le Seigneur des Ténèbres était toujours plus présent. Le conseil d'administration, je m'en fichais pas mal. On ne demandait pas aux petits élèves leur avis et du coup, je ne le donnais pas. Tant qu'on me laissait tranquille, ils pouvaient faire ce qu'ils veulent. Je n'étais pas venu au bal de Noël, le mondain ne m'intéressait pas trop et je n'avais pas de magnifique cavalière à accompagner. J'étais resté dans mon dortoir, au calme, tirant les cartes pour une petite première année qui m'avait filé des chocogrenouilles en échange. J'appris que le lendemain ce qui c'était passé. J'avais peur, je l'avoue. Peur que les sang-pur prennent encore plus de pouvoir, peur que la chasse aux nés-moldus ne commence. J'espérais juste, au fond de moi, qu'ils laisseraient le bénéfice du doute à un petit voyant sans parent déclaré.