L’aube illumine lentement le mobilier de ta chambre, projetant sur les murs l’ombre de ses couleurs éternelles. Tu admires le seul et bref instant de la journée ou la demeure prend vie, avant de retourner dans les Ténèbres. Dehors, le chant des oiseaux du parc jure avec le silence morbide de ce tombeau grand luxe. La fraicheur de tes draps mord ta peau comme un million d’aguilles, serpent venimeux plantant ses crocs d’aciers dans chaque parcelle de peau trouvé. Désertés, dénués de la chaleur d’un corps féminin. Tu constates que Saba n’est pas venue te rejoindre cette nuit, sans doute encore chamboulée par l’annonce de tes fiançailles. Brisée, en réalité devant l’injustice de sa condition sociale. Tu remarques à quel point sa présence féline te manque, lorsque tu rentres chez les tiens, habitué à ses visites nocturnes. Tes iris peinent à demeurer ouverts devant l’éclat immaculé de l’asphalte du plafond alors qu’une certaine mélancolie s’empare de ton esprit. Il va pourtant falloir te ressaisir. Sur ta table de chevet traine une missive, dont l’écriture sophistiquée reproduit ton nom. Ta génitrice te l’avait apportée en main propre dès ton retour du Château, t’informant que la famille de ta fiancée souhaitait te rencontrer.
Devant toi, le jardin des Yaxley s’étend dans toute sa splendeur. Réminiscences d’un passé lointain où tu jouais avec les enfants de la maisonnée alors que vos mères prenaient le thé en veillant vaguement sur vous. Tes pensées convergent malgré toi vers Nox. Un frère, que tu avais fini par considérer au même titre que Sevastian. Alors que l’elfe de maison t’ouvre la portée d’entée, tu ignores si les Yaxley sont au courant de votre brouille. En attendant la maîtresse de maison, tu lisses méticuleusement les pans de ton veston en te postant devant la fenêtre, visiblement pensif. Une main sur ton épaule finit par te tirer de ta contemplation. «
Madame Yaxley » articules-tu avec détachement, en inclinant la tête en guise de réponse à ses salutations. «
Je suis ravie de te voir et te remercie d’avoir accepté mon invitation. Je pense que Dirty a dû servir le thé. » En la suivant dans le petit salon, tes iris détaillent sa silhouette gracile, l’élégance de ses déplacements. Tu as toujours perçu Charity comme une amie de ta génitrice. Pourtant, tu constates à quel point cette qualification arbitraire ne lui rend pas hommage. Étiquette collée sur son front à défaut de savoir quoi y écrire de mieux. Elle s’apprête pourtant à devenir ta future belle-mère, mais faire croire que tu la considères encore avec tes yeux d’enfant serait hypocrite. «
Votre époux n’est pas là ? » Demandes tu, pourtant certain de la réponse alors qu’elle te désigne le fauteuil sur lequel tu prends place et commence à te servir. Après l’épisode du bal de Noël, tu n’es pas sûr de vouloir rencontrer Damon Yaxley de si tôt, bien que persuadé qu’il ne t’ait pas reconnu dans l’obscurité de la nuit offrir à sa fille une cigarette moldue dans une proximité troublante.
«
Du sucre ? » «
Non, merci. » Tu l’observes reposer la pincette d’acier dans le sucrier de porcelaine avec une grâce infinie. Le goût âcre de la boisson te mord la langue avant que ses saveurs ne t’explosent en bouche. Tu as conscience de paraitre rude, à la manière de ton géniteur, mais ni la délicatesse, ni le raffinement ne font réellement partie de ton quotidien plutôt austère. A dire vrai, les confiseries et autres plaisirs sucrés ne sont servis que pour les invités de la demeure, si bien que, mêmes lors des soirées du grand monde, tu ne touches jamais à rien. Education spartiate. L’opulence te révulse, digne héritage de la rudesse des princes Magyars. «
Sois honnête avec moi Demitri. Qu’est-ce que tu penses de tes fiançailles avec ma fille ? » Franche, la question a au moins le mérite de te tirer un sourire. L’idée fugace, plus fine qu’un cheveu céleste te traverse l’esprit et ravive quelques instants ton myocarde aux battements lents. La mettre à nue, L’écorcher vive jusqu’à la délivrer de Son essence. Plus de dignité. Plus de désirs. Lui ôter jusqu’à son dernier rêve, remplacer tous Ses espoirs par l’abjecte affliction d’un destin qui semble s’être échappé. Un objet, simple, désincarné. Si facile à jeter, si facile à remplacer. Enfant, tu te délectais d’arracher les ailes des papillons. Aimais les regarder se débattre et agoniser lentement. Devenu un homme, tu t'es mis à arracher celles des anges et la Lumière t’es apparue dans tout son rayonnement céleste. Certes, révéler à ta future belle-mère ce que tu réserves à son unique fille n’est certainement pas le mieux venu lors d’une première rencontre officielle. «
Ais-je simplement le droit de remettre en cause une union qui a été décidée de ça il a fort longtemps par deux des plus anciennes familles de Londres ? » L’ironie de ta voix est à peine masquée, pourtant, loin d’être provocante ; tu signifies par là à ton hôte le respect que tu portes à la décision de tes géniteurs. «
Je dois vous avouez que certains m’ont souhaité bien du courage suite à l’annonce des fiançailles. Pourtant Lux semble plus… docile en ma compagnie ». Digne fils du Mensonge. Tu fais danser Lux sur un fil de rasoir par cet odieux chantage dont tu profites allègrement depuis plusieurs mois ; Te délectes de voir la peur incrustée dans ses chairs à vifs dès que tu la frôles, ou qu’elle t’aperçoit de ses prunelles claires au détour d’un couloir. Tu sens la situation s’empirer depuis l’annonce des fiançailles, qui n’allonge finalement son calvaire que jusqu’à ce que la mort vous sépare. Rallonge non négligeable, en réalité. Tu fixes la maîtresse de maison de ton regard de fauve, sans ciller. L’allusion n’est pas si anodine qu’il n’y parait. Les premiers temps, la peur te prenait les tripes à la suite de ta rencontre avec Charity dans les couloirs de l’hôtel. L’ignorance de ce qu’elle avait ou non entendu et surtout de la découverte de la personne avec qui tu te trouvais ce soir là aurait pu réduire à néant la confiance et le respect que tes géniteurs te portaient. L’annonce des fiançailles t’avaient alors surpris, te confortant dans l’idée que soit ton hôte n’avait certainement pas été témoin de l’incident ou que la noirceur de ton être n’était visiblement pas gênante. Manière détournée de tester ton hôte. «
C’est une bonne chose. » Lapidaires. Efficaces. Tu n’as pas besoin de beaucoup de mots pour t’exprimer. Tu as toujours détesté faire la discussion, eut en horreur l’entretien du relationnel pourtant obligatoire pour survivre dans votre monde. C’est d’ailleurs ce que te reprochent le plus souvent tes géniteurs dans les coulisses des soirées mondaines. Ta mère surtout, qui est la seule à savoir décrypter ce qui se cache derrière tes agissements, sait reconnaitre tes sourires forcés, invisibles aux yeux des autres. Tu finis par desserrer quelque peu ta cravate pour te sentir plus à l’aise. Tu déposes lentement la tasse de porcelaine sur la table basse, avant de te caler plus confortablement dans le fauteuil que t’as offert ton hôte. Pour la première fois, être en représentation te dérange. Tu ne te sens pas maître de la situation, comme tu peux l’être chez toi ou à Poudlard, peut être parce que la femme qui te fait face a perdu sa candeur et son innocence depuis bien longtemps. Tu n’as rien à moduler, rien à détruire. Peut être en apparence seulement. «
J’ai été quelque peu surpris de votre choix, en vérité.» Tes yeux te fauve s’amarrent à ses pupilles chatoyantes, avec la dureté caractéristique de ta famille dans une interrogation silencieuse.
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