Dans la pénombre nocturne, mes doigts redessinaient presque machinalement le tatouage ornant désormais mon avant-bras.Ils faisaient écho au même geste de la veille, l'avant-veille, et toutes celles qui avait suivi mon nouveau statut. Une marque que j’arborais avec fierté, dignité, tout en imposant un certain sentiment d’inconfort. Âgé tout juste de dix-sept ans, j’avais été recruté aux rangs des mangemorts et avais passé le test final me qualifiant pour servir notre Seigneur des Ténèbres. D’une simple incantation, je possédais le privilège d’être apte à le contacter, bien que ceci soit fortement déconseillé et frisait le suicide absolu. D’un simple picotement, j’étais conscient être sommé par ce mage noir en vue d’accomplir quelconque tâche ou participer à une réunion. J’étais l’un d’entre eux, ce que j’avais toujours souhaité devenir, mais j’étais également un serviteur, ce qui me tiraillait silencieusement, secrètement. Je n'avais pas les ambitions d'un suiveur. Je voulais dominer, je voulais diriger. Quitte à créer mon empire de mes propres mains, quitte à régner sur des cendres, mes cendres. Être mangemort paraissait la voie pour ceci, mais aussi me coupait inévitablement les ailes, imposant un goût amer au fond de ma gorge depuis des semaines.

Mon éducation, mon existence même avait été menée à ce but. Je suivais impeccablement toute la voie tracée par mes géniteurs. Je complétais chaque étape brillamment, bien que rares fussent les fois où Damon et Charity l’aient pu remarquer, et lorsqu’ils le notèrent, une vexante surprise habitait inévitablement leur regard. Quoi qu’il advienne, j’étais condamné à persister dans l’ombre de tous. De la Sainte Trinité que composaient mes parents et leur fils prodigue, leur premier enfant, leur progéniture parfaite. Parfois, je me demandais si le chemin qu’avait choisi Lux n’était pas orchestré dans le but d’attirer l’attention vers elle. Enfant, j’avais moi-même plus d’une fois commis un impair pour cela. Avec l’âge, ça m’était passé, néanmoins, alors que Lux demeurait égal à elle-même. Elle n’avait pas besoin de l’attention de mes parents, peut-être. Elle avait juste, toujours, été la même.

Et elle ignorait que j’étais mangemort. Si lorsqu’Erèbe avait reçu la Marque toute la Grande-Bretagne avait semblé s’en réjouir, mon entrée dans le camp avait eu l’impact d’une légère brise printanière sur le quotidien de ma famille. Je ne m’en plaignais pas spécialement, j’appréciais le fait que Lux ignore que dorénavant, je ne jouissais plus de la liberté dont elle disposait. Ma sœur n’était sous la maîtrise de personne, ce qui était à la fois risqué pour sa personne, mais admirable de mon point de vue.

Puis, ça m’avait frappé. Le désintérêt de nos parents envers leurs marchandises de secours était-il si immense qu’ils ne se souciaient pas d’avoir leur unique fille sans affiliation ? Sans protection ? Sans promesse ? Je savais pertinemment que les Yaxley seniors se doutaient que la façon de voir les choses de Lux avait une tendance à débrailler leur mode de vie. Alors qu’attendaient-ils pour bousculer ma jumelle à nouveau vers leurs idéaux ? Ils avaient été plus que prompts à lui trouver un mari, pourquoi ne pas se presser à lui trouver un maître ? J’avais émis le désir de devenir mangemort le plus tôt possible, tout comme Erèbe. Une décision qu'aujourd'hui me troublait pour nombreuses raisons. Suivre Erèbe m'avait toujours approché de mon but ultime, mais me forcer ces chaînes était-il vraiment idéal ? Quoi qu'il en soit, Lux avait conservé le silence, mais je ne pensais pas que l’opinion ou l’absence d’opinion en l’occurrence de cette première ait inhibé tout agissement de la part de Charity ou Damon. Alors pourquoi, ô Diable pourquoi, ma sœur ne portait-elle pas la même marque que tous les autres Yaxley respirant sur cette planète.

C’est ce que j’avais osé demander à mon géniteur, lorsqu’il avait fini de batifoler avec son nouveau jouet. Son esclave. Ses réponses avaient constitué une tempête de contrariétés au coeur de laquelle j’avais manqué de me noyer, qui m’avait emporté au large de mes secrets et fracassé sur les rochers du réalisme lorsque j’avais fermé la porte de son bureau, refusant paraître quelconques émotions devant lui. Ma curiosité était déjà mal venue dès que mes lèvres semblaient s’intéresser à Lux, alors m’enflammer de ce que mon père jugeait d’elle ne m’apporterait qu’infamie.

Au lieu de son infamie, j’avais eu mes regrets, mes mépris, ma rage, ma tristesse. Mes bouteilles d’alcool. La maison avait été désertée de mes géniteurs peu de temps après, appelés à des devoirs de sang-pur adultes, paraît-il, et j’avais laissé libre cours à mes désirs d’ivresse. Ma colère croissante. Ma peur masquée. La première bouteille n’avait pas fait long feu, et promptement, sans ménagement, je la jetais au fond du jardin. Chaya s’en occuperait, ou Charity s’écorcherait les pieds dessus. Les deux me rendaient tout autant indifférent désormais. Je m’orientais vers le cabanon à nouveau en vue d’obtenir une une autre bouteille de ma réserve, tandis qu’une voix lointaine m’interpella.  « Nox ? Est-ce que tout va bien ? » Je me figeais le temps de quelques secondes en plein mouvement. Puis, au bout de quelques secondes, comme si le monde reprenait son cours, j’attrapais dans un geste rageur une bouteille que j’ouvris brutalement puis portai à mes lèvres. Un soupir fila entre mes lèvres tandis que je croisais enfin le regard de ma jumelle, de ma moitié, de cette ironie du sort. « C’est bien, tu es prévoyant. Tu en as beaucoup en réserve pour pouvoir toutes les casser contre le cabanon ? » « Pas assez. » Rétorquai-je d’un ton sec mais pas pour autant très fort, si bien que je n’étais pas certain que Lux m’ait entendu. Je me redressais, engloutissant plusieurs gorgées de whiskey pur-feu. Le brasier irritait ma gorge, et mes yeux se fixèrent sur elle, ma colère toujours aussi intense, mon dégoût semblant croître au fil des secondes. « Tu pourrais au moins partager… » Elle s’approchait, et je l’observais saisir une bouteille, comme si elle avait toujours su où je les voilais. Qu’est-ce qu’elle ne savait pas sur moi ? Qu’est-ce que je ne lui avais jamais partagé, si ce n’était mon appartenance aux mangemorts ? Le regard aussi sombre que mon humeur, je cherchais en vain la réplique qui traduirait mes pensées et l’agresserait. Je levais à nouveau le coude, ne la quittant jamais des yeux, pris au piège dans cette tornade de fureur. Le moindre geste envers moi me ferait perdre le contrôle, j’en étais certain. « Est-ce que tu partageras mon futur ? » finis-je par prononcer, sans desserrer les dents. « Est-ce que tu partageras vraiment mon futur. » Je ne cillais pas, précisant, brutalement possessif : « Sur tous les plans. » Et ce n’était plus qu’une question d’amour. Ce n’était plus cet enfer de la voir s’enticher pour Demitri et m’oublier, moi, le pervers, l’immoral. « Après Poudlard. »  Dans ce monde en guerre, où indubitablement, nous nous devions rester « Du même côté » pour survivre. Je ne pouvais me résoudre à lui parler de camp, même si je savais pertinemment que c’était le plus judicieux. Naïvement, je désirais, j’espérais, qu’elle m’avoue attendre les procédures pour devenir mangemort. Naïvement, je souhaitais l’entendre soutenir les décisions de Lord Voldemort. Naïvement, candidement, parce que tout mon être savait silencieusement que ce ne serait jamais le cas, tout en rejetant avec horreur l’idée que Lux devienne une Phénix, un Sombral, une traîtresse à son sang.

Me tenant droit à l’entrée du cabanon, une bouteille religieusement accrochée à ma main, j’observais ma jumelle. Celle qui s’était si sournoisement, si solidement, si perpétuellement soudée à mon être. Celle que non seulement je désirais, mais dont je nécessitais. J’abhorrais cette partie de moi, celle qui était si dépendante de Lux. Celle qui ne pourrait être libre de son emprise, comme condamnée à l’aimer d’un amour aussi pur, aussi féroce, aussi indéniable qu’il était estimé malsain, répugnant, répréhensible. Je souhaitais entretenir une relation fraternelle avec elle, celle qui aurait dû naître au gré des années que nous avions passé ensemble, des secrets que nous collections l’un sur l’autre et protégions malgré tout, cette complicité candide. Je ne désirais que subir ces autres sans valeur aucune qui invoquaient pulsions en moi et dont je disposais une fois mes émotions évanouies. Mais cet amour provenant d’un autre univers qui demeurait si étranger à mon propre monde, cette affection ornée de milliers de pouvoirs aussi fourbes et puissants les uns que les autres, constituait ce que je devais gérer chaque jour.

Elle reposait la bouteille, l’air défaitiste, épuisé. Promptement, je reconnaissais que Lux n’était pas d’humeur à me supporter dans mon état. Qu’elle ne voulait pas essuyer une autre tempête enragée de ma part. Qu’elle souhaitait laisser tomber les armes, alors qu’ironiquement, c’était toujours elle, qui venait. C’était toujours elle qui réparait les pots que je cassais violemment, c’était elle qui apaisait mes ardeurs empoisonnées, c’était elle qui restait à mes côtés. Et cette certitude, cette loyauté dont je savais lui faire également preuve, je redoutais la perdre. Je la dévisageais abandonner cette bouteille dont elle avait émis le désir de prendre, et je m’efforçais de percevoir ses torts. Ses tares dans sa personnalité qui pourtant avait toujours été idéale à mes yeux. Je ne pouvais pas blâmer Lux d’être qui elle était, contrairement à chaque membre de ma famille qui irait jusqu’à peut-être la déshériter pour seulement contredire un ordre du Lord. Je pouvais vivre avec le fait qu’elle rejette le devoir de s’affilier à un clan, alors que le monde autour explosait sous les conflits, sous les étiquettes, sous cette guerre macabre et sectaire. Je pouvais endurer tout ça, sa douceur têtue. Mais je ne pouvais supporter qu’il lui arrive malheur, de la voir succomber dans l’océan incertain et dangereux qu’est la neutralité de nos jours.

Alors je m’entendais, saccadé, lui demander ses plans. Lui demander de prendre son clan, de suivre le chemin qui était ordonné dans cet empire familial. De ne pas le faire pour eux ni pour elle, mais pour moi, égoïste, dépendant. Elle me fixait, comme si elle était inapte à élucider ce dont je discutais avec elle. Comme si elle refusait d’arpenter ce territoire où il n’y avait qu’embûches pour elle. Je pouvais semblait cruel de la jeter dans cette fosse emplie d’épines qui écorcheraient sa conscience, ses valeurs, ses idéaux, que savais-je. Mais qu’était faire souffrir Lux maintenant si cela lui évitait des maux bien plus destructeurs ? Sa vie, par Merlin ? Progressivement, ses traits s’adoucirent, tandis que son regard semblait encré sur ma personne, déterminé à ne regarder nul autre que mon être. Accroché à ce que je composais. Ses mains s’agitèrent, sa tête hocha en signe de dénégation. Je la sentais presque horrifiée, dépitée, déçue que je la place devant les faits si brusquement, si solidement. Que je lui lance ce qui pouvait avoir des allures d’ultimatum. « Non, je refuse Nox. Tu peux pas me demander ça. C’est hors de question. » Elle reculait, et j’inspirais profondément, tout en ne rompant le contact visuel qui me liait à elle. « Hors de question ». Un feu naissait doucement en moi, nourri de colère comme de peur. « Je fais déjà beaucoup pour rentrer dans le moule Nox. Ne me demande pas ça. » Je baissais finalement les yeux, goûtant à ce refus, cette déception. « Tu ne fais pas assez. » Et si ce n'était qu'une question d'entrer dans le moule. Ce n'était pas uniquement arborer un masque, c'était vivre ce rôle. Je l’entendais allumer une de ces cigarettes dont elle semblait de plus en plus accro pour l’écraser quelques secondes plus tard contre un tronc d’arbre. Soudainement, elle rompait la distance qu’elle avait imposait entre nous, saisissant mon bras comme s’il détenait toute l’importance d’un chapitre de sa vie. « Dis moi que c’est pas vrai Nox. » Mon regard froid effleura sa peau, devinant comment ses traits se tireraient à mesure qu’elle relevait la manche de ma chemise. La Marque du Seigneur des Ténèbres gravée sur ma chair se refléta au creux de ses pupilles où une multitude de sentiments se précipitaient. Jusqu’à ce qu’elle en saisisse une et la happe toute entière, la suce de toute force, de toute protection. « Tu l’as fait. » Et les rideaux furent tirés. Amère, elle parlait de fête, elle demandait quel exploit j’avais accompli pour être récompensé comme je l’étais. Qui j’avais tué, quelle souffrance j’avais commis. Comme si elle avait toujours fermé les yeux sur mon côté violent, sur mon côté malsain. Comme si mes années à Poudlard où j’avais torturé des élèves et fait sangloter ses camarades de classe n’avaient jamais annoncé ce moment où j’aurais à faire de même à un homme ou une femme en dehors du château. Comme si les murs de l’établissement scolaire excusaient toutes mes cruautés et mon esprit mauvais. Mauvais pour elle, si bonne, si pure. Si vulnérable à se voire annihiler de la généalogie Yaxley. Elle portait une des bouteilles à ses lèvres, ingurgitait plusieurs gorgées, et brutalement, je rompais son jeu : « Ne joue pas ce jeu avec moi, Lux. »

Mon ton était glacial, dur. Je n’étais pas Erèbe, Charity ou même elle pour persuader avec de simples mots. J’usais de mes termes pour violenter uniquement, lorsque l’on m’ôtait le droit de me servir de ma magie. Je n’étais pas un diplomate. Je n’avais hérité de cette délicatesse. Je constituais une brute épaisse, qui pourtant voyait clair dans le jeu de Lux, voyait clair dans la désillusion, dans la déception, dans les sentiments qu’on tente d’étouffer. Car Merlin savait combien de duels persistaient en moi chaque jour que je vivais, combien d’émotions que j’avais eu à avaler, dissimuler, ignorer sous les coups de Damon. Néanmoins, jamais je ne m’étais montré faux devant Lux. Jamais ne l’avais-je dupé, jamais ne m’étais retenu d’être moi-même devant sa personne. Sans doute cela lui aurait-il évité bien des maux, mais en fin de compte, elle constituait l’âme qui me connaissait mieux que quiconque sur cette planète. Et le seul secret que j’avais retenu contre elle, était celui qu’elle venait de découvrir et qui la consumait pernicieusement. « Ne fais pas ta Charity. Tu m’en veux pour mon choix d’être mangemort et de ne pas te l’avoir dit. Alors fais-le moi sentir, dis-le moi en face plutôt que d’être fausse. » Je m’approchais de ma sœur, mon regard s’accrochant au sien, la défiant de se venger, de me gifler comme elle avait déjà pu le faire, de me cracher des obscénités au visage. Peu m’importait, mais pas ce fossé d’hypocrisie. Un bref rire sans joie fila entre mes lèvres, alors que je saisissais toute l’ironie de la situation. Si seulement Lux pouvait être fausse avec son propre monde, jouer le jeu, jusqu’à ce qu’il la possède. « Maintenant, je suis un Mangemort. Comme Erèbe, comme Charity, comme Damon. Je suis un Mangemort, et tout le monde sait ce que je vais faire de ce statut. Tout le monde connaît mes ambitions, mes aspirations, toi mieux que personne. Oui, Lux, je vais torturer des gens, je vais certainement en tuer même. Parce que c’est mon devoir, c’est mon rôle, et c’est ce qui me permettra d’obtenir ce que je veux. Et je suis bien capable de tuer de sang froid pour ça. C’est qui je suis. » Je laissais quelques minutes de silence planaient entre nous. Mes propos étaient brutaux, comme jamais je ne m’étais osé l’être devant elle. Elle le savait, mais jamais n’avais-je parlé dans ce registre. Je glissais mes doigts contre la peau de son bras dénudé, doucement, presque sensuellement, jusqu’à ce que ma poigne se referme violemment sur son poignet, la faisait sursauter. Je l’attirais contre le mur du cabanon derechef, réduisant toute distance entre nous, l’emprisonnant entre le bois et mon corps musclé. « Et je suis ton putain de frère. » Je ne la quittais pas du regard, articulant les prochains termes. « Je suis ton frère, et ton amant, et je t’aime. Je serais capable des plus grandes ignominies pour toi. Je pourrais tuer notre père s’il mettait ta vie en danger. » Je desserrais ma poigne, mon emprise glissant jusqu’à son coude, où était tatoué la caste du loup. « Mais la vérité, c’est que, tu n’es pas si différente. Un loup, Lux. Seth. Ni un Faucon, ni un Serpent. Un supérieur, pur, bien marqué, loup. » Sérieux, je l’observais le temps de quelques secondes, avant de trancher : « Tu n’as pas pu le duper. » Quelques minutes, et je baissais les yeux. Mon torse se relevait et s’aplatissait brusquement sous ma respiration que je réalisais précipitée. J’effectuais un effort pour la normaliser, mes sentiments s’organisant lentement dans mon esprit. « La vérité, c’est que tu vas devoir faire un choix, même si celui-ci semble déjà tout pris pour toi. La vérité, c’est que tu ne peux pas demeurer dans ce limbe de neutralité parce que tu finiras par devenir une cible. Tu en es déjà une. Et tu peux devenir de qui en comptant les bouteilles sur le sol. » Je positionnais mes doigts sous le menton de ma jumelle, menaçant : « Haïs moi tant que tu veux, méprise-moi, fais-moi souffrir Lux. Mais ma vie est liée à la tienne et je ne laisserais personne te faire de mal. Peu importe le prix. Et si tu veux vivre dans un monde où tu n’appartiens nulle part, où tous te rejetteront à moins que tu leur offres une monnaie d’échange, où beaucoup voudront ta tête, soit. Mais tu le regretteras. Parce que ce n’est pas qui tu es, ce n’est pas qui tu dois être. » Aussi brutalement que je l’avais happé, je me distançais d’elle. Mes yeux glissaient le long de son corps, presque intrusifs. Puis, d'une voix neutre, j'articulais : « Pourquoi ça t'est si dur, de vouloir être avec moi jusque là ? » N'attendant pas sa réponse, je retournais à l’intérieur du cabanon saisir une nouvelle bouteille.